1. Une concurrence faussée
a. L’investissement et ses dérives
Les fonds investis dans ces entreprises en France sont de deux types : les particuliers qui souhaitent investir pour défiscaliser une partie de leurs revenus (IRPP (Impôt sur le Revenu des Personnes Physiques) et/ou ISF (Impôt Sur la Fortune)) et les investisseurs institutionnels classiques comme les banques, les assurances, … Leur but est de prendre un risque (le placement de fonds) dans l’espoir de gagner plus.
Certains d’entre eux, par appâts du gain dérivent vers la spéculation et jouent avec les lois. Cela abouti comme à Los Angeles à des expulsions et à des rachats d’immeubles pour les réhabiliter en locations saisonnières pour Airbnb entre autre, dont les revenus sont bien plus rentables que ceux perçus grâce à un locataire classique.
b.Leurs charges courantes sont minimisées au maximum
De part leur singularité, ces entreprises ont peu de charges récurrentes comparées à leurs homologues classiques. En effet, les locaux servant au siège accueillent principalement les employés de ces entreprises, comme ils sont réduits au minimum, cela leur permet des économies concernant le local en lui-même qu’il soit loué ou acheter (moins grand que celui nécessaire à une entreprise classique) mais engendre aussi moins de dépenses pour son aménagement et son équipement et l’entretien.
Les entreprises ubérisées n’ont comme salariés que l’équipe de production, les autres personnes étant des travailleurs indépendants ou considérés comme tels n’entrent donc pas dans le champ du personnel. Ce dernier est chargé pour une part de la gestion et du développement ainsi que de la recherche de la société et d’autre part de développer des algorithmes et de la saisie de base de données notamment. La plupart du temps, les autres tâches (comptabilité,...) sont sous-traitées, elles peuvent prendre la forme de filiales. Par conséquent, ces entreprises génèrent beaucoup moins de charges en terme de salaire et de charges sociales qu’une entreprise classique.
c.La fiscalité où les rois de l’optimisation fiscale
L’économie numérique présente quatre spécificités qui les distinguent de l’économie traditionnelle : la non-localisation des activités, le rôle central des plates-formes, l’importance des effets de réseau et l’exploitation des données. Ces particularités modifient le modèle classique de création de valeur et sont à l’origine des difficultés rencontrées par les gouvernements à appliquer le cadre fiscal actuel en vigueur. C’est pourquoi le gouvernement souhaite le faire évoluer pour s’adapter à ce nouveau type d’économie et pouvoir ainsi prélever des taxes ou impôts qui seront par la suite réinjectes pour le fonctionnement global du pays (aides sociales, remboursement de dettes,…).
Dans cet état d’esprit, leurs structures (tout comme celles de la plupart des multinationales) se compose la plupart du temps d’une maison-mère et de filiales à travers le monde, offrant ainsi l’opportunité d’implanter leur siège là où la fiscalité est la moins pénalisante en terme de coûts soit pour l’Europe en Hollande et en Irlande. Le résultat est sans appel, les économies faites sont indécentes grâce à des stratégies comptables sophistiquées qui incluent des rescrits fiscaux. Ces derniers sont des accords passés entre états et entreprises, en principe légaux, qui permettent aux multinationales d'échapper en partie ou totalement à l'impôt dans les pays européens où elles sont installées.
d.Quelles garanties? Les normes et les diplômes facultatifs sont remplacés par la confiance
Encore une exception de l’Ubérisation! Prenons l’exemple parlant de l’hôtellerie. Alors que chaque entreprise classique doit s’évertuer à répondre aux normes quelles qu’elles soient : d’accessibilité (pour les personnes à mobilité réduite), le classement par des étoiles qui correspondent également à des normes (présence d’un ascenseur, taille moyenne des chambres, présence d’un parking…) ou d’hygiène et de sécurité, les logements Airbnb vous parlent de tranquillité d’esprit, de sécurité, de respect, d’authenticité et de fiabilité mais en aucun cas d’espace minimum ou toute autre norme qui concerne cependant les professionnels de l’hôtellerie. Ainsi, les loueurs peuvent n’avoir aucune expérience du milieu, tout ce qui compte sur le principe, c’est la confiance. Celle émanant de l’économie collaborative de base.
L'indice de confiance que l'on peut avoir pour le travailleur ubérisé dépend des notes émises par les précédents utilisateurs du service sur le site pour apprécier le service rendu. Ces travailleurs ne peuvent pas refuser d’être notés. Sur le principe, rien de choquant, les entreprises classiques elles aussi évaluent tout les ans leurs employés. Mais là, la note est systématique. Toutes les prestations de services sont évaluées une par une. Face à ce système, certains tentent d'abord d'avoir de bonnes notes pour créer un climat de confiance et de prestation de qualité en travaillant souvent à moindre coût. Ils ont assimilé le fait qu'il faut d'abord se faire connaître, "se faire une réputation" avant de se faire payer au juste prix comme le font la plupart des nouvelles structures quelles qu'elles soient. Dans un autre genre, un reportage sur l'Ubérisation montre une jeune fille qui s'était inscrite sur un site de garde d'enfant. Sa première expérience s'est très mal passée, la mère à dû rentrer avant l'heure convenue. Sa note et ses commentaires, les premiers de cette cyberbaby-sitter, lui ont été fatales car très mauvais...sur ce site. Elle s'est donc inscrite sur d'autres sites pour pouvoir avoir une deuxième chance. D'ailleurs, beaucoup de travailleurs uberisés sont inscrits sur plusieurs sites pour multiplier les chances de décrocher des "contrats". Cet exemple montre bien l'intransigeance de ce type de système. Quand on a beaucoup de notes, cela finit par donner une image représentative car chaque note est diluée dans l'ensemble de ces dernières. Les premières notes, elles doivent être bonnes pour permettre au consommateur d'être en confiance. Si ce n'est pas le cas, le travailleur aura une activité réduite, voir inexistante, qui servira à terme, à sortir le travailleur des offres proposées par l'intermédiaire. Une dernière remarque, jamais la plate-forme n'est notée, c'est toujours le travailleur. Ainsi, un client Uber insatisfait par le prix de sa course Uber, se rendant notamment compte qu'elle aurait pu être moins chère avec un taxi normal puisque Uber pratique des tarifs fluctuant en fonction des jours et horaires, va mal noter le chauffeur puisqu'il ne peut pas noter l'intermédiaire qu'est Uber. La note n'est donc pas forcément représentative de la prestation A cela s'ajoute les façons de faire de chacun, ceux qui sont toujours satisfait, ceux qui ne le sont jamais, etc. En somme, cette note oblige le travailleur à être à son meilleur niveau pour chaque prestation, d'autant qu'elle peut influer le montant perçu. En effet, certains sites paient en fonction des notes reçues. Avec ce système, une personne qualifiée semble gagner approximativement la même rémunération à l'heure qu'un salarié classique.
e.Du patrimoine partagé ou la mutualisation de la propriété hors taxe
Encore une particularité de ses nouveaux services : pas de possession, j’entends par là pas de parc (voiture, hôtel). La société n’est propriétaire de rien de ce qu’elle propose. C’est le travailleur qui utilise son bien pour son activité. C’est ainsi qu’Airbnb a pu atteindre 1 000 000 de chambres quand Accor plafonne à 500 000! L’amortissement dû à l’utilisation du bien est censé être pris en compte dans la somme qui sera perçue par le loueur/travailleur.
En conséquence, d’une part, le loueur se voit normalement imposé sur des revenus qui dans un autre cadre auraient pu comprendre des déductions ou des amortissements, d’autre part, la société ne paie aucun impôts (impôts des sociétés ou taxe foncière) pour “l’utilisation” du logement puisqu’il n’est qu’un intermédiaire.
Normalement, un établissement lambda est chargé de collecter la TVA (Taxe sue la Valeur Ajoutée) sur l’ensemble des biens et services fournis. Mais là encore, de part leur dématérialisation et leur globalisation, les sociétés ubérisées faussent cette procédure et ne collecte pas la TVA qui est une source non négligeable de revenus pour les Etats. Sans application de TVA, c’est de 5% à 20% du prix du bien ou du service en moins, et là encore, une concurrence accrue et faussée dans la sphère économique.
f.Gagnant sur les 2 tableaux ou la plate-forme biface : (cf annexe 2)
En tant qu’intermédiaire, l’entreprise ponctionne l’ensemble des acteurs qui la font vivre : le consommateur et le travailleur se voient ainsi chacun prélevés une commission (le prix de la confiance certainement) nommée “frais du voyageur” et “frais d’hôtes” et regroupés sous le nom de “frais de service”. C’est l’un des piliers de l’entreprise pour créer de la valeur. Cette commission est la plupart du temps au pourcentage et fluctue entre 6% pour atteindre plus de 20%. En multipliant par deux cette commission (consommateur et travailleur), on obtient des sommes très importantes qui nous le verrons plus tard, ne sont en plus quasiment pas taxées.
Comme on peut le constater, ce système a été bien pensé, chaque aspect est optimisé. Et s’il est perspicace, il est aussi innovant mais pas que dans sa structure, dans son fonctionnement aux autres également.
2.Des conditions de travail revisitées
a.Le contrat de service
Ici, pas de salariés donc pas de contrat de travail, on travaille hors cadre législatif avec un contrat de prestation de service. Ce contrat implique qu’il n’y ai pas de lien de subordination avec l’employeur, c’est-à-dire que l’employeur ne fixe pas le cadre de travail et ne donne pas les moyens d’exécution du travail. De ce fait, il n’est pas régie par le droit du travail et encore moins par des conventions collectives. Le travailleur devient alors prestataire de service et crée souvent son entreprise (autoentrepreneur dans la plupart des cas). Cependant, les startup pratiquent le recrutement et la sélection des prestataires de service, or cela crée un lien de subordination, on est toujours sur le fil du rasoir de la légalité.
Les conséquences en sont : pas de cotisation pour le chômage et pas ou peu de cotisation pour la sécurité sociale et la retraite. Le salaire fixe en est absent et les congés payés aussi bien évidemment.
Ce statut est beaucoup décrié car il s’oppose presque au modèle salariale et ne propose que peu de sécurité. S’il offre de la flexibilité et qu’il peut être judicieux pour arrondir les fins de mois d’un premier emploi peu rémunéré mais qui offre les garanties (vues au paragraphe précédent), il devient, en activité principale, un moyen de gagner de l’argent mais sans aucune sécurité en cas de maladie, accident et autre. Il en est de même avec le bien qui sert à effectuer l'opération de service, en cas de défaut de ce dernier (panne du véhicule par exemple), le travailleur se trouve dépourvu de son outil de travail et par conséquent ne peut plus gagner d’argent jusqu’à remise en situation de l’outil. Il est aussi décrié car il implique souvent plus que moins un lien de subordination : par exemple, un chauffeur Uber doit respecter le « yield management » (gestion tarifaire variant en fonction du jour et de l’heure), il s’engage à le faire, il ne peut donc pas pratiquer les prix qu’il souhaite; il est donc soumis à un lien de subordination avec Uber. Un autre lien est mis en défaut devant les tribunaux californiens : lorsque Uber désactive son application pour les chauffeurs ne l’ayant pas utilisée pendant 180 jours. S’ils ne sont soumis à aucun horaires ni aucune activité réelle, cela ne semble pas légitime d’annuler l’offre du travailleur.
b.Le travail gratuit
Grâce à l’ensemble des consommateurs qui utilisent des plates-formes de services, les propriétaires de ces dernières engrangent nombre d’informations sur eux (âge, sexe, adresse, services utilisés,...) et leurs préférences. Ces informations sont donc enrichies par les consommateurs eux-mêmes puis, grâce aux capacités de traitement de l’information, les technologies numériques permettent d’exploiter des données toujours plus nombreuses, et donc d’en tirer de la valeur. Elles sont revendus par la suite à d’autres groupes à des fins commerciales mais aussi utilisées pour mettre en place des services toujours plus personnalisés et souvent gratuits. Voilà comment ces entreprises parviennent à faire une part non négligeable de leur chiffre d’affaire. Ce travail gratuit pose aujourd’hui problème pour les états car, actuellement, il n’est pas taxé (impôts). Il représente donc un manque à gagner de plus en plus important pour eux.
Il pose également un problème d’éthique : le travail gratuit c’est le bénévolat de manière générale en France, mais là, la démarche est différente, ces données sont fournies par les utilisateurs pour accéder aux différents services et n’offrent aucune contrepartie sinon de pouvoir utiliser les services proposés par le site.
Ces entreprises ont une autre manière de créer de la valeur que les anciennes. Grâce à la non-localisation qui permet de choisir sa fiscalité, mais aussi aux plates-formes via un double commissionnent. L’utilisation croissante des réseaux est aussi un vecteur important de distribution qu’il s’agisse du réseau électrique ou de leur capacité à attirer une masse d’utilisateurs telle qu’elle créée elle-même son réseau qui de développe selon un effet “boule de neige”. Enfin grâce à l’exploitation des données. La chaîne de création de valeur est donc dissemblable et nécessite des ajustements fiscaux afin de réduire ces écarts de taxation.
3. Un besoin pressant de légiférer pour taxer et contrôler
L'état doit nécessairement s'adapter au numérique, l'inclure dans l'ensemble de ses pratiques. Elle doit pouvoir anticiper les changements à l’œuvre, en saisir les opportunités tout en dessinant une société conforme à ses principes de liberté, d'égalité et de fraternité.
Les réactions politiques face aux difficultés à taxer les entreprises du numérique ont été nombreuses, notamment par des propositions de taxes spécifiques destinées à neutraliser les contournements fiscaux. En parallèle, l'OCDE (Organisation de Coopération et de Développement Économique), et la Commission européenne ont entamé des travaux visant à corriger les failles du système fiscal européen et international, car la faille se décline comme un mille feuille, on la retrouve à chaque niveau, du local à l'international.
a. Ce qui est déjà fait en France
Plus facile de s’en prendre aux contribuables qu’aux groupes ubérisés. Il n’y a qu’à voir les premiers pas fait par le gouvernement pour rattraper le manque à gagner en taxes et impôts.
Depuis le 21 janvier 2016, un amendement instaure la mise en place de la taxe de séjour pour l'ensemble des logements de particuliers qui hébergent des tiers contre paiement (les prestataires d'Airbnb entre autre). Cette taxe est collectée par l'organisme qui est chargé de le redistribuer à l’État. La conséquence est éloquente quant au manque à gagner : sur le dernier trimestre : 1.2 millions d’euros récupérés par la France.
Dans le même esprit, ces nouveaux loueurs doivent maintenant justifier du statut de propriétaire ou nécessitent l’autorisation de ce derniers s’ils sont locataires selon l’article L. 631‑7‑1 A du code de la construction et de l’habitation. En cas de non-conformité, ils encourent jusqu’à 80 000€ d’amende et jusqu’à un an de prison.
Pour essayer de mieux cerner le phénomène, le Gouvernement a mis en place l’Observatoire de l’ubérisation, preuve de son intérêt pour le phénomène. Il a pour but de formuler des propositions pour mieux relever les enjeux de demain en matière sociale, fiscale, juridique et économique.
b. Les futures axes à sécuriser
L’OCDE a identifié quatre grandes catégories de défis pour la fiscalité du numérique :
- redéfinir le lien entre une entreprise et un territoire : par une modification de la définition d’un établissement permanent, par le recours au concept de présence numérique significative, par la définition d’un établissement permanent virtuel ou par la mise en œuvre d’une retenue à la source par l’État du lieu de transaction ;
- attribuer de la valeur aux données et caractériser, d’un point de vue fiscal, la fourniture d’information « gratuite » ou, plus précisément, de l’échange de services par des clients dans le but de protéger les données personnelles tout en taxant cette nouvelle valeur;
- caractériser les transactions dans le monde numérique (entre achat, location, redevance), pour lesquelles les dispositions fiscales en droit international sont différentes ;
- parvenir à collecter la TVA (et plus généralement les taxes sur la consommation) en appliquant le principe du lieu de consommation, et en limitant sa complexité.
Il semble que les Etats soient pris de cours par ces évolutions qu’ils ne peuvent empêcher. Ils tentent donc, mais en retard de reprendre la main ou devrais-je dire taxes et impôts, mais qu’en est-il des consommateurs et de ces “nouveaux travailleurs”?